|
|
"Les
Indiens, ici pas plus qu'ailleurs, malgré leurs danses,
leurs soûleries, les tons vifs de leurs costumes,
ne manifestent en physionomies en gestes, joie aucune. Le
marquis de Wavrin, qui |
connaît l'Amérique,
me dit alors : "Seuls savent rire les Indiens qui n'ont
pas connu l'oppression du blanc." Henri
Michaux « Ecuador » p.107 |
"L'histoire
est le développement de l'esprit universel dans le
temps" Hegel |
|
|
Joie à trois sauts, tristesse
et déchéance à villa brasil, tensions
à Camopi |
Tous les voyageurs sont frappés
par la différence de comportement des Amérindiens
entre : • Trois Sauts • Le
bourg de Camopi (centre) • Les hameaux de
Camopi (teko ou wayãpi) • Villa Brasil
Je m'explique :
1. Trois Sauts évoque à merveille une scène
du vieux Bruegel, ou l'atmosphère d'un village gaulois
mythique, on y rit, boit, ripaille, sans que cela empêche
d'aller chercher de quoi nourrir sa famille.
2. Le bourg de Camopi est le quartier administratif où
retentissent les conflits entre métropolitains (cf.
plus bas « Contact avec les Métropolitains »),
les conflits non moins acerbes entre l'école et la
mairie, entre instituteurs et parents d'élèves.
L'atmosphère est pénible. Des amis enseignants
m'avaient signalé : « le climat est
beaucoup plus agréable lorsque l'école est fermée
pendant les vacances scolaires ». C'était
vrai, j'y ai passé les vacances de Noël, je respirais,
toute tension avait disparu. |
3. Les
hameaux de Camopi rappellent Trois Sauts, malgré
quelques télévisions où l'on regarde
des mangas et la proximité de Villa Brasil à
cent mètres.
4. Villa Brasil : c'est à mon retour que j'ai
lu l'admirable Tristes Tropiques. Longtemps
je n'en avais connu que le titre et m'étais interrogé
sur le sens. Pourquoi « Tristes » ?
Peut-être à cause des innombrables « Villa
Brasil » semées à travers le continent
américain ?
Claude Lévi-Strauss, comme Darius Milhaud, a nommé
une œuvre plus tardive : « Saudades
do Brasil ». Ni « allegria »
brésilienne ; ni douceur de vivre indienne,
réelle ou rêvée par eux-mêmes
comme elle l'est par les explorateurs venus d'ailleurs
; ni « saudade » ; ni nostalgie
du quinto imperio ; mais tristesse parce que Villa Brasil
est un de ces villages de pionniers, outposts, villes de
la frontière, où, comme l'explique cet Américain
interrogé en 1831 par Tocqueville, la civilisation
tue les Indiens. Tristesse parce que Villa Brasil avait
un habitant il y a trente ans, dix il y a cinq ans, cent
aujourd'hui et demain sera |
peut-être, telle Macapa,
une ville champignon de 100 000 habitants avec des favelas
où ils vivront déchus.
Tristesse parce qu'à Villa Brasil tout est laid :
constructions à la petite semaine annonciatrices de
ghost town, planches vite et mal ajustées contrairement
aux carbets indiens, œil brillant des cabaretiers versant
les alcools forts aux Indiens qui en attendent aujourd'hui
la force magique d'un cachiri d'ordre supérieur, puis
dans quelques années l'oubli de leur dégringolade.
« En comparant
les primitifs aux maîtres de la Renaissance et les peintres
de Sienne à ceux de Florence, j'avais le sentiment
d'une déchéance : qu'ont donc fait les
derniers, sinon exactement tout ce qu'il aurait fallu ne pas
faire ? Et pourtant ils restent admirables. La grandeur
qui s'attache aux commencements est si certaine que même
les erreurs, à la condition d'être neuves, nous
accablent encore de leur beauté »
Lévi-Strauss, « Tristes Tropiques ». |
|
|
Suicides |
Un gendarme m'a dit un jour :
« Il y a une dizaine d'années, une épidémie
de suicides s'est produite chez les Amérindiens adolescents,
depuis nous avons instruction de peu sévir quand l'un
d'entre eux commet un délit ». J'appris
plus tard que c'est au cours de l'année 1985 qu'une
dizaine de suicides ont eu lieu dont celui d'un enfant de
douze ans. Cette horrible épidémie suivit de
peu l'arrivée d'un magnétoscope et de cassettes
vidéo de série B, apportés par des métropolitains
qui s'ennuyaient le soir sans télévision, et
invitaient les Amérindiens à regarder. C'était
la |
première fois que ces derniers
voyaient des films. Cette période correspondait aussi
à l'arrivée des premiers garimpeiros, en effet
le « second cycle de l'or » a débuté
au milieu des années 1980.
Ensuite il y a eu plusieurs suicides chez des femmes hospitalisées
à la maternité de Cayenne : ne supportant
pas l'enfermement ni l'éloignement de la communauté
elle se sont jetées par la fenêtre au point que
celle-ci est désormais verrouillée pour les
Amérindiennes. « L'emprisonnement
est une expérience très douloureuse pour les
nôtres qui sont |
habitués
à une vie en plein air, sans règle ni horaire.
D'ailleurs beaucoup s'y suicident » Mary
Brave Bird-Crow Dog, Femme Sioux, chapitre XX, Ed. Albin Michel
1993
Actualisation 2007 : une jeune femme s'est tiré
une balle dans le coeur à Camopi. Echappée de
justesse à la mort elle est handicapée à
vie et porte une épaule en plastique. C'était
une jeune femme comme les autres et l'événement
n'est pas fait pour remonter le moral de la communauté.
|
|
|
Retours difficiles au sein de
l'ethnie |
"Je
suis un Blanc dans ma tête et un Lakota dans mon coeur,
c'est terrible à vivre"
Un indien Lakota (USA)
Ces dernières années les enfants qui avaient
suivi avec succès l'école primaire,
|
étaient
allés poursuivre des études secondaires à
Saint-Georges de l'Oyapock et, à l'âge de 15
ou 16 ans, c'est-à-dire après la classe de
troisième, sont rentrés à la maison
où ils ont souvent des problèmes psychologiques
de réadaptation. Après avoir connu |
musique créole et nourriture
française, table et lit, ils retrouvent hamac, cassave,
autorité du père, de l'oncle ou du capitaine.
C'est particulièrement difficile pour les filles, elles
subissent une pression pour vite choisir un garçon
qui n'a souvent pas fait les mêmes études qu'elles.
|
|
|
Dépression |
Une jeune
mère, vivant chez son père et sans mari, a
présenté une dépression réactionnelle,
elle n'a pas consulté pour elle, mais pour son enfant
âgé d'un mois dont elle ne voulait pas (cf.
paragraphe « retard pondéral »
ci-dessus). L'enfant avait semblait-il été
conçu « en état |
d'ivresse » au décours d'un cachiri
particulièrement arrosé, cas de figure qui
n'est plus (ou pas) exceptionnel. Elle était mutique,
rendant l'entretien impossible, son visage ne se déridait
jamais.
Hospitalisée une première fois avec son
enfant, celui-ci a repris un poids normal,
|
elle exprimait un certain intérêt
pour lui, le nourrissait et tous deux sont rentrés
à la maison. Mais 5 semaines plus tard, elle a ramené
le bébé en coma fébrile, le scanner de
Cayenne a montré un empyème cérébral
(abcès) qui avait déjà détruit
la moitié de l'encéphale. |
|
|
L'hélicoptère nous
surveille |
Un jour qu'un
hélicoptère de la gendarmerie tournait depuis
vingt minutes au-dessus du bourg de Camopi, un ami Indien
laconique me dit : « Tu vois, Pierre, ils nous
surveillent ». Le sourire immuable des Amérindiens
a disparu. Un autre : « Regarde, l'hélicoptère
nous surveille ». Je pense que c'était
faux, l'hélicoptère n'était pas en
vol stationnaire donc pas en train de nous filmer. Il me
paraît cependant important de faire état de
ce sentiment d'être surveillé, exprimé
par des Amérindiens qui n'avaient rien d'original
par rapport au reste du groupe et qui l'ont dit à
moi dont tout le monde savait que j'étais en excellents
termes avec les
|
gendarmes.
(Ces derniers m'ont aidé chaque fois qu'il a fallu
organiser une évacuation de nuit ou que j'avais besoin
d'une photocopie. En remerciement je leur laissais accès
à mon téléphone, qui fonctionnait rarement...
mais c'est une autre histoire. Si les gendarmes m'ont déçu,
ce n'est qu'à la fin de mon séjour quand j'ai
découvert la force de leur ethnocentrisme, ce dont
ils ne sont pas responsables).
Autre confidence d'un Amérindien. Exaspéré
de voir une énorme pirogue de garimpeiros lourdement
chargée en fuel, machettes, mercure et pleine à
ras bord de pirates, remonter la rivière Camopi,
|
donc en territoire entièrement
français : « Tu vois ça, Pierre...
pourquoi les Français ne font rien ? Les légionnaires
et les gendarmes ils ne font rien ! ».
Un conseiller municipal Wayãpi est connu pour ses revendications,
ses critiques acerbes voire agressives à l'égard
de plusieurs métropolitains, essentiellement des instituteurs.
Ce comportement brusque est à l'opposé de celui
des autres Amérindiens marqué par la retenue
et le sourire aux lèvres, espiègle ou moqueur,
pourtant ses déclarations entraînent l'adhésion
générale lors des réunions de parents
d'élèves. |
|
|
Toxicomanies |
•
L'ivresse, chez les Amérindiens, n'est pas une déviance
mais un comportement culturel et social très valorisé,
je parlerai donc de tout ce qui se rapporte à l'alcool
au chapitre « Bien-être Social ».
Une culture qui valorise l'ivresse favorise, a priori, plus
la toxicomanie à l'alcool,
|
comme une
culture valorisant la cigarette (guerre de 14-18) favorise
plus la toxicomanie à la cigarette.
• Le crack qui n'est autre qu'une forme
bon marché de la cocaïne, déjà
courant à Cayenne (comme à la Martinique,
la Guadeloupe, Rio de Janeiro, etc.), vient |
d'arriver à Saint-Georges
de l'Oyapock où la population est composée
de Créoles, de Brésiliens et d'Indiens Palikour.
• On ne peut aborder les toxicomanies sans parler
des garimpeiros. |
|
|
Hystérie |
Je suis réveillé
à 3 heures du matin. L'homme, un Teko d'une trentaine
d'années, présente une hypertonie très
douloureuse des deux membres inférieurs. Ne pouvant
marcher, il est porté par deux amis. Vingt secondes
après injection intramusculaire de diazépam,
la contracture cède totalement du coté de
l'injection et cède à moitié en
|
controlatéral.
Il peut marcher mais en boitant. Son entourage est un peu
surpris que, pour limiter la somatisation, je les laisse
tous repartir chez eux à dix minutes de pirogue du
centre de santé. Le lendemain je conseille en cas
de récidive de voir le chamane, que j'avertis. Plus
tard, de passage à Cayenne, je rencontre un médecin
métropolitain qui travaille
|
depuis trente ans dans le département
et me signale l'existence du « oké oké »,
affection neurologique qui donne ce genre de tableau et serait
due au virus HTLV auquel les Amérindiens seraient plus
réceptifs. A la date de mon départ, trois mois
plus tard, il n'y avait pas eu de récidive, mais je
n'ai pas demandé si le chaman avait été
consulté. |
|
|
|